Le peintre expressionniste français Bernard Buffet fut une superstar de l'art dans les années 60 et 70. Il posait dans les magazines avec son épouse et muse Annabel Schwob tandis que ses toiles aux lignes vigoureuses étaient reproduites en cartes postales et collectionnées par les happy few. Cette médiatisation a parfois fait oublier un pan entier de sa biographie : il vécut en effet plusieurs années avec l'homme d'affaires Pierre Bergé, avant que celui-ci ne devienne l'amant et l'associé d'Yves Saint-Laurent.
Pierre Bergé, le Pygmalion de Bernard Buffet ?
Bernard Buffet, le petit prince de l'art de l'après-guerre
Le talent précoce de Bernard Buffet lui avait certes permis d'être remarqué précocement. Il exposa au Salon des Indépendants en 1947, alors qu'il n'avait pas vingt ans, et eut rapidement l'un de ses tableaux acheté par l'État Français pour le musée d'art moderne (alors au Palais de Tokyo). Le Docteur Girardin, un important collectionneur de l'époque, acheta en quelques années plus d'une dizaine de ses œuvres avant de les léguer à son décès en 1953 au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.
Bergé et Buffet, huit ans en commun
L'arrivée de Pierre Bergé dans la vie de l'artiste fut cependant extrêmement importante. Ils se rencontrèrent en 1950 et vécurent ensemble pendant huit ans. La passion amoureuse n'excluait cependant pas pour Pierre Bergé le sens des affaires et il prit en main la carrière de son compagnon durant cette période. Il fut ainsi le véritable impresario de l'artiste durant cette période, lui permettant de se concentrer sur sa peinture.
La fin brutale d'un amour
Leur vies devaient prendre un virage en 1958. La rencontre de Bernard Buffet et d'Annabelle Schwob fut un coup de foudre et ils ne devaient plus se quitter jusqu'au décès du peintre. Pierre Bergé allait quant à lui rencontrer Yves Saint-Laurent, devenant indissociable du couturier y compris dans le nom de la fondation qui perpétue leur mémoire...
Pierre Bergé, un homme d'entregent et d'affaires
Un homme de lettres devenu homme de réseau
Arrivé à Paris avec le désir d'être homme de lettres, Pierre Bergé fit rapidement connaissance avec les écrivains qui comptaient à cette époque, tels que Jean-Jacques Prévert, Jean Cocteau ou Jean Giono. Ce dernier lui permit d'ailleurs de séjourner plusieurs mois dans une de ses propriétés provençales avec Bernard Buffet, une période qui permit à l'artiste de se concentrer sur son art en réalisant des paysages sombres et expressionnistes.
Un rôle décisif dans le développement d'Yves Saint-Laurent
L'avisé Pierre Bergé mit ce sens du contact au service d'Yves Saint-Laurent, en trouvant auprès de prêteurs américains les fonds nécessaires à la création de la maison de couture qui allait faire leur fortune à tous les deux. Il supervisa constamment la production de la maison, permettant à Yves Saint-Laurent de se consacrer pleinement au développement de ses collections sans se soucier de l'intendance.
Un sens des affaires très, voire trop, développé
L'homme d'affaires qu'était Pierre Bergé ressentit bien avant d'autres la nécessité de diversifier les sources de revenus d'une maison de couture. La création de Saint-Laurent Rive Gauche, collection de prêt à porter plus abordable que les modèles de la griffe Yves Saint-Laurent, fut l'un de ces outils de diversification, ainsi bien entendu que les parfums. Son sens affûté des affaires lui valut même en 1994 une condamnation pour délit d'initié.
Pierre Bergé, un homme de gauche et amateur d'art
Un milliardaire de gauche ?
Cela peut sembler paradoxal pour un homme qui fut associé à une griffe emblématique du luxe à la française, mais Pierre Bergé a toujours eu et affiché des convictions de gauche. Il soutint ainsi François Mitterrand puis Ségolène Royal, participant au financement de sa campagne présidentielle infructueuse de 2007. Il prit également une participation dans le capital du journal Le Monde, assurant l'avenir de ce journal de référence.
Un amateur d'art et mécène
Pierre Bergé fréquentait les galeries et in constitua avec Yves Saint-Laurent une collection d'art stupéfiante. Elle fut dévoilée au Grand Palais lors d'une exposition mémorable avant sa dispersion aux enchères : les amateurs d'art découvrirent alors un ensemble mobilier exceptionnel des Lalanne, mais aussi des œuvres telle qu'une aquarelle de Renoir ou une sculpture de Brancusi. Le produit de la vente fut de près de quatre cents millions d'euros, ce qui lui valut le qualificatif de vente du siècle.
Pierre Bergé donna à cette occasion un tableau du peintre espagnol Francisco de Goya y Lucientes au Louvre et une tapisserie du préraphaélite anglais Sir Edward Burne-Jones à Orsay. Ce geste généreux qui permit d'enrichir les collections nationales ne fut que l'un des aspects d'un homme habitué au mécénat, qu'il s'agisse de soutenir la lutte contre le Sida ou de transformer la villa marocaine du peintre Majorelle en musée.
Un collectionneur fidèle à son amour de jeunesse
Pierre Bergé avait gardé de nombreuses œuvres de Bernard Buffet datant de l'époque de leur vie commune. Celles-ci ne figurèrent pas dans la vente Bergé-Saint-Laurent, mais furent en revanche prêtées à la rétrospective organisée par le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en 2016-17. L'homme d'affaires avait secrètement gardé les toiles de Bernard Buffet, restant ainsi discrètement fidèle à son premier grand amour...